Le mécanisme des montages « CumCum »

En bref :

En 2025, le législateur français a décidé de renforcer la lutte contre l’arbitrage de dividendes. L’idée principale est d’introduire la notion de bénéficiaire effectif pour exiger la retenue à la source sur les dividendes versés aux non-résidents, même en cas de montage temporaire (prêt-emprunt de titres, cession temporaire, etc.).

Cette réforme s’inscrit dans un contexte où les États européens cherchent à combattre plus efficacement ces montages « CumCum », considérés comme une fraude à l’arbitrage des dividendes. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?

Les révélations successives, dont l’enquête des « CumEx Files » en 2018, ont mis au jour l’ampleur internationale de ces pratiques : banques, cabinets d’avocats et investisseurs institutionnels utilisaient des schémas d’arbitrage pour contourner la fiscalité des dividendes, entraînant un manque à gagner fiscal estimé à plus de 150 milliards d’euros pour plusieurs États de l’Union Européenne.

LE MECANISME DES MONTAGES « CUMCUM »

Deux pratiques distinctes sont mises en cause par les révélations : CumCum et CumEx.

CumCum : définition et schéma de montage

Le dispositif dit « CumCum » – de la locution latine qui veut dire « avec » – consiste, pour un investisseur non-résident, à se défaire temporairement de ses actions (en les cédant ou en les prêtant) à un investisseur résident ou intermédiaire non-résident (étranger) ayant dans les deux cas une fiscalité sur dividendes avantageuse, juste avant le versement de ces dividendes.

L’investisseur résident ou l’intermédiaire non-résident, qui bénéficie souvent d’une retenue à la source réduite ou inexistante, encaisse alors le dividende avec une fiscalité plus avantageuse. Une fois les dividendes touchés, il rétrocède les titres (ou les rend en fin de prêt) à l’investisseur initial, en conservant une commission. C’est un mécanisme d’optimisation fiscale en marge de la légalité, car il repose sur le différentiel de taxation entre les deux investisseurs concernés.

On parle de montage « CumCum interne », lorsque l’opération se déroule dans un seul pays (le prêteur et l’emprunteur sont basés dans la même juridiction), tandis que le montage « CumCum externe » implique des contreparties situées dans des pays différents et exploite les conventions fiscales internationales.

Ces pratiques ont été révélées à grande échelle notamment grâce à des enquêtes journalistiques menées par différents consortiums de presse, mettant en évidence la participation de nombreux acteurs financiers et cabinets spécialisés. Les montages sont d’autant plus aisés qu’ils reposent sur la complexité des règles fiscales et sur des écarts de traitement selon la résidence du bénéficiaire.

 

Schéma d'une transaction de versement de dividendes classique

Schéma d'une transaction de versement de dividendes avec un montage CumCum

Le montage CumEx : un schéma plus complexe

Le dispositif « CumEx va plus loin que celui du CumCum : le montage « CumEx » est illégal alors que le « CumCum est « abusif ». Il s’agit ici de faire appel à des manœuvres complexes générant de multiples remboursements d’impôts indus sur le même dividende. En pratique, plusieurs intervenants (courtiers, banques, fonds d’investissement) échangent les actions pendant la période de versement de dividendes de sorte que l’Administration Fiscale ne puisse pas identifier clairement qui détenait réellement les titres au moment du détachement du coupon. Ainsi, deux entités pouvaient prétendre à un remboursement de retenue à la source sur le même dividende.

Schématiquement :

  • Vente à découvert : un acteur vend les actions sans les détenir réellement (on parle alors de « short selling »), pendant la période du dividende.
  • Échange de titres : par le biais d’accords de prêts de titres ou d’options, les actions circulent entre plusieurs comptes.
  • Demande de remboursement : au moins deux parties revendiquent simultanément un remboursement fiscal, créant une fraude massive.

Ces montages CumEx sont particulièrement techniques et requièrent une collaboration étroite entre différents opérateurs financiers. C’est cette complexité qui a longtemps permis de cacher l’ampleur du phénomène et retarder l’intervention du législateur.

 

LES ACTIONS DU LEGISLATEUR POUR MAÎTRISER CES MONTAGES CUMCUM

Face à une perte évaluée par le Trésor entre 1 et 3 milliards d’euros par an, la France a montré dès 2019 sa volonté de mettre en échec la mise en place de ces dispositifs sur l’arbitrage de versement des dividendes. Ainsi, à compter du 1er juillet 2019, les flux financiers correspondant indirectement à la rétrocession d’un dividende de source française à un actionnaire non-résident étaient soumis à la retenue à la source. Le bénéficiaire des versements avait la possibilité d’obtenir le remboursement de la retenue à la source s’il est en mesure de démontrer que l’opération n’avait pas un but exclusivement fiscal. Pour cela, les conditions suivantes devaient être respectées :

  • Le versement est réalisé dans le cadre d’une cession temporaire ou de toute opération donnant le droit ou faisant obligation de restituer ou revendre ces parts ou actions ou des droits portant sur ces titres
  • Cette opération est réalisée pendant une période de moins de 45 jours incluant la date à laquelle le droit à une distribution de produits d’actions, de parts sociales ou de revenus assimilés mentionnés aux articles 108 à 117 bis du CGI est acquis

En pratique, ce dispositif était facile à contourner : il suffisait de mettre en place des cessions temporaires supérieures à quarante-cinq jours ou d’utiliser des instruments financiers ayant un effet similaire à la possession des actions. L’absence d’outils lui permettant de lutter efficacement contre ces schémas, l’administration fiscale française avait fini par se placer sur le terrain pénal. Ainsi, plusieurs banques avaient été perquisitionnées en mars 2023.

C’est pour remédier à cette situation, que le projet de Loi de Finance 2025 a légalisé, la notion de « bénéficiaire effectif » a été introduite afin d’exiger de l’agent payeur le prélèvement d’une retenue à la source lorsque le véritable bénéficiaire des dividendes est une entité non-résidente. Cette disposition vise tout versement ou « transfert de valeur » effectué dans le cadre d’une cession temporaire d’action ou d’instruments financiers excluant la référence au délai de 45 jours.

Via ce dispositif, certaines opérations telle que des prêts de titres ou des pensions livrées pourraient être captées dans le champ d’application, bien que répondant à une réelle logique économique.

CONCLUSION

Désormais, avec la réforme de 2025 introduisant ce critère du bénéficiaire effectif, les autorités espèrent endiguer à la fois les schémas CumCum et CumEx, en plaçant la responsabilité fiscale là où se trouve véritablement le gain économique.

Néanmoins, les banques sont toujours opposées à une mesure difficile à mettre en œuvre qui nuiraient, selon elles, à l’attractivité de la place parisienne. Les échanges ne sont pas terminés, notamment avec le dépôt en février d’une lettre au Conseil constitutionnel, avec également le souhait de se mettre en conformité avec l’Administration Fiscale sur la base des décisions prises à ce jour.

© Article rédigé par votre équipe VNCA